Femme de 61 ans, hospitalisée dans le service d'Hépato-Gastro-Entérologie
Un hémogramme a été prescrit dans le bilan biologique d’entrée
Aucun renseignement clinique
(Observation présentée par Bénédicte RIBOURTOUT, Interne en biologie – 2012)

Hémogramme (analysé sur Sysmex XE-5000)
N° leucocytes et PLT = normales
Anémie notable, discrètement microcytaire
Histogramme GR avec base élargie, petits éléments à gauche, IDR très élevé
Pas de message d’alerte
La réalisation d'un frottis sanguin avec examen au microscope se justifie-t-elle ?
Selon les règles ISLH (www.ISLH.org) on vérifie sur lame un hémogramme de patient inconnu si :
Hémoglobine < 7.5 g/dL
Microcytose avec VGM < 75 fL (adulte)
IDR > 22 %
On va donc réaliser et regarder le frottis Sg MGG, au moins pour la morphologie des GR
Examen du frottis sanguin : pas d’anomalie notable des leucocytes; la formule de l’automate est confirmée

Qu’observe-t-on sur le frottis sanguin ?




(un plasmocyte : leur nombre était < 1% leucocytes)




Trois anomalies morphologiques érythrocytaires prédominent sur ce frottis sanguin :
% H cible : > 50 % des GR
H ponctuées : > 250 % leucocytes
H avec corps de Pappenheimer : 1 - 2 par champ
(H en larme , mais < 1 par champ)
Dans quelles situations peut-on retrouver de telles anomalies érythrocytaires ?
Hématies en cible
GR avec 3 régions concentriques (= aspect d’une cible) : centrale hémoglobinisée, intermédiaire claire, périphérique hémoglobinisée
Si VGM < N : > 5 - 10 % : thalassémies mineures (surtout alpha),
> 10 – 20 % : hémoglobinoses E et C, thalassémies majeures, drépanocytoses composites
< 5 % : carence martiale sévère (inconstant)
Si VGM N ou augmenté : > 50 % : ictère obstructif
15-20 % : autres hépatopathies; drépanocytose homozygote
< 5 % : splénectomisés, chimiothérapies
Remarque : on doit observer à plusieurs endroits du frottis, car la répartition des GR cible n’est pas homogène
Hématies ponctuées
GR avec nombreuses ponctuations sombres, basophiles
Seuil : au moins 1 tous les 4 / 5 champs (positif si > 15 / 100 leucocytes)
si VGM < N : bêta thalassémies (H larme associées)
Si VGM N (ou augmenté ) :
- Grosses ponctuations : intoxication Plomb
- Ponctuations grosses et/ou plus fines :
chimiothérapies
toutes les grandes dysérythropoïèses(SMD ?)
hépatopathies sévères
(souvent QQ unes chez le NNé sain)
Les H ponctuées sont des réticulocytes dont le contenu s’est agrégé en petits amas
Corps de Pappenheimer
Granules riches en fer (1 à 3 par hématie ; 0,2 – 0,4 µm de diamètre), souvent collés ou près de la mb du GR
A différencier du corps de Howell-Jolly (unique, plus gros)
Seuil de positivité : dès que l’on en observe (parfois > 50% des GR en contiennent)
Dysérythropoïèses toxiques :
alcoolisme chronique (parfois > 50 % des GR)
chimiothérapies, après + cures (1-10 % GR)
grandes dysérythropoïèses (< 1 % des GR)
Chez le splénectomisé (< 1 % des GR ; il y a en plus des corps de Howell Jolly)
Anomalie majoritaire ici : hématies en cibles > 20% sans microcytose franche
En premier lieu, on peut suspecter un ictère obstructif.
présence de corps de Pappenheimer : hépatopathie associée ?
VGM un peu bas : carence martiale débutante, inflammation chronique ?
Histoire de la maladie et motif d'hospitalisation :
Adressée par son centre de convalescence pour prurit invalidant
ATCD médicaux: obésité, HTA, IRC, goutte, déficience intellectuelle connue. Serait VHC+
Examen clinique à l’entrée: ictère, prurit, lésions de grattage
Suspicion initiale de cirrhose post hépatite C, avec en plus cholestase ?

Examens biochimiques (1)

Examens biochimiques (2)
Bilan en faveur d’une hépatopathie :
Bilan biochimique: cytolyse hépatique, hypoalbuminémie, bloc béta gamma à l'Ep des protéines sériques, cholestase avec augmentation des PAL et des GGT
Sérologies virales : charge virale VHC indétectable, réfutant une hépatite C
Bilan immunologique: mise en évidence d’Ac anti-membrane nucléaire par IFI sur cellules Hep2 (1/2560); typage par immunodot: présence d’ac anti GP210
Ac hyaluronique = 1174 ( N < 50 µg/L)
PBH: Aspect d’hépatite chronique modérément active, avec fibrose hétérogène
Lésions de cholangite + infiltrat polymorphe (majorité de Lympho, qq Plasmo, qq PNN, rares granulomes épithélioïdes), infiltrat souvent nodulaire au centre des plages fibreuses orientent plutôt vers une cirrhose biliaire primitive
Hypothèse retenue : cirrhose biliaire primitive
Les anomalies morphologiques érythrocytaires observées ici sont concordantes avec le diagnostic retenu.
Principales anomalies hématologiques observées dans la cirrhose
L’anémie est multifactorielle: séquestration, carence (Fer, folates, autres), par hémorragies digestives (tractus gastrique et digestif supérieur essentiellement) pouvant aussi être responsables d’une carence martiale, mécanisme toxique direct de l’alcool (anémie sidéroblastique)
Thrombopénie: carentielle ou liée à l’hypersplénisme
Neutropénie: carentielle ou liée à l’hypersplénisme
Lymphopénie modérée
Erythroblastémie
Anomalies érythrocytaires observables dans les IHC chroniques
Corps de Pappenheimer
Acanthocytes (Nb variable mais > 1 % des GR) :
hématies avec au maximum 7-10 spicules;
augmentation importante de la quantité de cholesterol de la membrane de l’hématies alors que la quantité de PL est faible
→ deséquilibre qui est hémolytique pour l’hématie, et plasticité diminuée d’où augmentation de la captation par les macrophages de la rate
Hématies en cibles
Hématies ponctuées
Stomatocytes: GR avec fente claire évoquant une bouche; seraient plutôt liés à l’alcoolisme et non pas à l’hépatopathie
Etiologie de l’anémie discrètement microcytaire chez notre patiente ?
L’anémie en elle-même :
IRC
Hypersplénisme (splénomégalie confirmée par l’imagerie)
L’anémie microcytaire:
Bilan du fer difficile à interpréter: contexte de cytolyse
Inflammatoire: ici, CRP à 18, peu en faveur.
Thalassémie: microcytose modérée chez une patiente qui autrement serait normo-macrocytaire ?
Origine géographique de la patiente ? (ici = centre de la France)
Anémie sidéroblatique? dysérythropoièse avec corps de Pappenheimer,..
Acide hyaluronique sérique (N < 50 µg/L)
Principalement synthétisé par les cellules étoilées du foie ; normalement éliminé de la circulation par les cellules sinusoïdales hépatiques.
Hépatopathies chroniques. Elévation = augmentation de la synthèse et/ou diminution de la captation et dégradation par les cellules endothéliales.
Elévation est beaucoup plus importante au cours de la cirrhose qu'au cours des autres maladies du foie (stéatose, hépatite aiguë ou chronique) et semble être un marqueur utile au diagnostic de cirrhose (Pares et coll., 1996 ; Tsutsumi et coll., 1997).
La capillarisation des sinusoïdes observée au cours de la cirrhose pourrait être un facteur important dans l'augmentation de la concentration sérique de l'acide hyaluronique, par diminution de sa clairance.
Oberti et coll. (1997) ont montré que ce marqueur était, avec le taux de prothrombine, le meilleur facteur prédictif de l'existence d'une cirrhose. Au cours de l'hépatite chronique virale C, la sensibilité et la spécificité du dosage de l'acide hyaluronique sérique pour établir le diagnostic de cirrhose ont été évaluées à 79 % et 43 % respectivement, sans seuil établi (Ramadori et coll., 1991)