Femme de 68 ans
Asthénie d'installation progressive depuis 2 semaines
Depuis 3 jours : apparition d’ecchymoses aux points d'injection de son insuline (diabète diagnostiqué 20 ans auparavant), et augmentation du temps d’arrêt du saignement à la réalisation des ponctions pour les glycémies capillaires.
Un hémogramme est réalisé montrant diverses anomalies, dont une thrombopénie sévère
Hospitalisation le lendemain matin.
Absence de syndrome tumoral, absence de syndrome infectieux
Bilan biologique : pas d’insuffisance rénale LDH = 2789 UI/L (N<360), uricémie = 111 µmol/L, cytolyse hépatique modérée (transaminases = 2 fois la normale), absence de CIVD.
L'électrophorèse des protéines sériques met en évidence un pic en gamma très modéré à 1 g/l.
Le liquide céphalo-rachidien est stérile, non inflammatoire, sans cellule atypique

Hémogramme
Thrombopénie
Hyperleucocytose avec présence de blastes
Lymphocytose
Absence d'anémie

Frottis sanguin : faible grossissement.
Divers polynucléaires neutrophiles et quelques cellules arrondies avec rapport N/C proche de 1

Frottis sanguin : faible grossissement

Frottis sanguin : fort grossissement.
Une cellule anormale, de taille comparable à celle des neutrophiles matures

Deux cellules anormales : taille moyenne, rapport N/C proche de 1, noyau de contour irrégulier

Trois cellules anormales, dont une avec un nucléole net, un lymphocyte ? (petit, rapport N/C élevé), et un myélocyte

Un lymphocyte (avec granulations), deux cellules anormales, un myélocyte

Deux cellules anormales, dont l’une a un noyau de contour très irrégulier, polylobé

Trois cellules anormales

Deux cellules anormales, un monocyte et un lymphocyte granuleux

Deux cellules anormales et un myélocyte

Deux cellules anormales.
Globalement, les cellules anormales ont une morphologie qui les rapproche de petits lymphoblastes. Un myélogramme est cependant nécessaire avant de conclure formellement. L’aspect diffère cependant de celui de petites cellules centrofolliculaires ou de cellules de lymphome du manteau

Frottis médullaire : faible grossissement

Frottis médullaire : grossissement intermédiaire.
L’aspect général évoque plutôt celui d’une leucémie aiguë.

Frottis médullaire : grossissement intermédiaire

Frottis médullaire : fort grossissement.
Les cellules anormales sont l’aspect de blastes avec rapport N/C élevé, noyau de contour régulier ou non, parfois nucléolé, et cytoplasme basophile

Blastes, petites cellules lymphocytaires, un éosinophile

Blastes, un polynucléaire basophile et un érythroblaste

Blastes

Blastes

Blastes

Myélogramme :
Blastes de type lymphoblastes = 70 %
Lignée granulocytaire (tous stades) = 15%
Erythroblastes (tous stades) = 4%
Lymphocytes = 11 %

A côté des blastes, sous l’érythroblaste, une petite cellule avec rapport N/C de 1 et noyau avec encoche

Blastes

Blastes

A gauche une cellule plus petite que les blastes, avec rapport N/C =1 et encoche nucléaire

L’examen attentif des « lymphocytes » montre que certains, notamment ici en haut, ont une taille très réduite, avec rapport N/C =1, différant en cela d’un lymphocyte banal qui montre un peu de cytoplasme(en haut à droite)

Blastes, un myéloblaste, et deux cellules nettement plus petites en bas

Dans quelques champs l’aspect particulier « en grain de café » des petites cellules lymphoïdes est nettement objectivable (voir images suivantes)

Bien que présentes en faible nombre (environ 10% des « lymphocytes » soit 1% du total cellulaire) ces cellules sont typiques de celles d’un lymphome centrofolliculaire

Aspect évoquant des cellules de lymphome centrofolliculaire.

Aspect évoquant des cellules de lymphome centrofolliculaire.

Aspect évoquant des cellules de lymphome centrofolliculaire.

Aspect évoquant des cellules de lymphome centrofolliculaire.

Immunophénotype
Celui des blastes.
Complément d’immunophénotype, focalisé sur les « lymphocytes médullaires »:
lymphocytes T = 2%
lymphocytes B = 8%
CD10 = 79%
CD20 = 89%
CD5 = 3%
IgS Kappa = 10%
IgS Lambda = 78%
Caryotype : 55,XX,+X,del(6)(q11q21)x2,+del(6)(q1?6q2?4),+der(6)t(1;6)(q12;q2?3),+7, t(8;14)(q24;q32), -10,add(11)(p1?),+der(14)t(8;14),+18,+?18,+21,+21,+mar[9] / 46,XX[6]
Après multi FISH: 57,XX,+X, del(6)(q11q21)x2,+del(6), +der(6)t(1;6)(q12;q2?3), +7, t(8;14)(q24;q32), +der(8)t(8;11)(q22-23;?), der(10)t(10;18)(q21;q2?2), der(11)ins(11;10)(p1?;q?)t(8;11)(q22-23;?),+der(14)t(8;14), +18,+18, +der(18)t(10;18)(?;q2?2), +21,+21 [21] / 46,XX [13]
Bilan.
L’examen morphologique précise qu’il existe une population cellulaire minoritaire évocatrice d’un LNH centro folliculaire, et une majorité de blastes, morphologiquement proches de lymphoblastes (surtout dans la MO). Ces derniers pourraient correspondre à des centroblastes (un peu différents cependant de ceux observés dans les ganglions de LNH centroblastiques).
L’immunophénotype retrouve 2 populations cellulaires : blastes sans Ig de surface, compatibles avec des centroblastes, et petites cellules de phénotype centro folliculaire.
Diagnostic retenu : lymphome double-hit leucémisé.
Suites de l’observation
La patiente reçoit une polychimiothérapie associant cyclophosphamide, vincristine, méthotrextate (dose réduite du fait de l’âge), adriamycine, corticoïde.
Une rémission partielle est obtenue : myélogramme normal après un mois, mais persistance de métaphases anormales au caryotype.
La patiente reçoit une seconde cure de polychimiothérapie, mal supportée, avec aplasie prolongée et fébrile.
Il réapparait quelques blastes sanguins 3 semaines plus tard.
La patiente décède à son domicile 3 mois après le diagnostic de l’hémopathie.
Commentaires sur le caryotype de la patiente.
Complexe, ne correspondant pas à celui d’un LNH Burkitt.
il y a 5 copies du gène BCL2 au vu des anomalies numériques et, bien que la FISH de BCL2 n’ait pas été réalisée ici, on ne peut exclure un point de cassure 18q21 au lieu de 18q2?2 et son activation par un gène du # 10.
Commentaires généraux.
La t(8;14) et ses variantes [t(2;8) et t(8;22)] réarrangeant MYC ne sont pas spécifiques du LB, et s’observent chez 5-10 % des adultes et 30 % des enfants atteints d’autres LNH B agressifs, notamment les DLBCL de novo ou secondaires à des LNH à petites cellules (souvent plusieurs autres anomalies cytogénétiques associées). Chez ces patients le caryotype est habituellement complexe, hyperdiploïde, et les anomalies observées possiblement secondaires à un réarrangement de 3q27/BCL6 (30 % des cas) ou de 18q21/BCL2 (20–30 % des cas). Certaines de ces anomalies, notamment : caryotype complexe, anomalies 13q et 7q sont associées à un pronostic défavorable (Havelange et al, GCC 2013).
Dans le LNH Burkitt, le caryotype montre une anomalie IgH-myc isolée, au associée à 1 ou 2 autres anomalies (et n’impliquant ni blc2 ni bcl6).
Lymphomes Burkitt-like : se rapprochent des LNH Burkitt soit par la morphologie (+/- identique) soit par le caryotype soit par l’immunophénotype : cela ne correspondait pas à la situation de notre patiente.
Lymphomes double-hit.
- Présentent souvent sur le plan morphologique un aspect en ciel étoilé, mais la morphologie nucléaire est plus irrégulière et il y a expression forte de bcl2 (en immunohistochimie).
- Le caryotype est en général complexe, à l’inverse du LNH Burkitt.
- Présentent un réarrangement à la fois de MYC et BCL2, plus rarement de MYC et BCL6 (qq cas de LNH triple hit avec translocations impliquant MYC, BCL2 et BCL6 sont rapportés (Tomita, Haematologica 2009).
- Origine : parfois évolution d’un LNH folliculaire (l’anomalie MYC est secondaire), souvent LNH d’emblée agressif (LNH folliculaire passé inaperçu ?)
- Aspects moléculaires : la structure moléculaire des translocations BCL2/IgH est presque toujours identique ou proche d’un complexe VDJH normal, suggérant un évènement oncogénique précoce au sein d’une cellule immature primitive, alors que la structure moléculaire de la translocation MYC/IgH du Burkitt suggère une anomalie du switch.