Les granulocytes neutrophiles ou polynucléaires neutrophiles (PNN) constituent 50 à 70% des leucocytes du sang circulant (1.5 – 7 G/L) : leur fonction principale est la lutte antibactérienne par phagocytose et bactéricidie, après migration dans les tissus vers le lieu de l’infection.
1. Origine, cinétique et durée de vie des granulocytes neutrophiles.
Les granulocytes neutrophiles proviennent de la moelle osseuse (MO), par divisions successives de progéniteurs (CGU-GM puis CFU-G), puis de précurseurs (successivement les myéloblastes, promyélocytes, et myélocytes). Les myélocytes se divisent en métamyélocytes,qui, par pincement de leur noyau forment les granulocytes matures ou PNN au noyau plurilobé.
Les PNN produits demeurent 1 à 8 j dans la MO (=compartiment de stockage médullaire), puis migrent dans le sang périphérique. Ils sont présents environ 12 H dans le torrent circulatoire (= compartiment circulant), puis environ 12 H collés aux parois des vaisseaux (= compartiment marginé). Ensuite ils traversent la paroi vasculaire par diapédèse (passage entre les cellules endothéliales) et vivent environ 1 à 3 j dans les tissus (fonction phagocytaire).
2. Morphologie générale des polynucléaires neutrophiles.
Cellules de 15 µm de diamètre en moyenne, avec rapport N/C = 0.3 – 0.4.
Le noyau est segmenté en 2 à 5 lobes nucléaires, reliés entre eux par un fil de chromatine. Le noyau est variablement lobé : 95 % des PNN ont 2,3 ou 4 lobes nucléaires (= formule d’Arneth)
La chromatine est dense et d’aspect motté.
Excès de formes polysegmentées = déviation à droite. On définit les macropolycytes ou pléiocaryocytes, PNN de grande taille (diamètre parfois > 20 µm) avec 6-15 lobes nucléaires. On les observe dans les carences vitaminiques B12 et foliques, au cours du traitement avec hydroxyurée, parfois d’autres chimiothérapies.
Excès de formes non lobées ou avec deux lobes = déviation à gauche. Situations souvent associées à une myélémie (infection, inflammation), plus rarement à une myélodysplasie ou une situation constitutionnelle (anomalie de Pelger - Huët).
Le cytoplasme est riche en granulations brunes sur un fond clair discrètement rosé (petite hétérogéneité quant à la quantité de granulations parmi les PNN d’un même patient).
- Il existe 4 types de granulations (voir physiologie de la granulopoïèse neutrophile).
- Le cytoplasme contient de nombreuses protéines (actine, gelsoline, tubuline, tropomyosine, …) qui jouent un rôle fondamental dans les propriétés de chimiotaxie, phagocytose et exocytose.
- Les Migration Inhibitory factor–related Proteins (MRPs), qui semblent réguler les phénomènes migratoires des monocytes, sont libérées lors de la stimulation des neutrophiles.
- L’annexine 1, régulée en partie par les glucocorticoïdes : serait un médiateur de l’effet anti-inflammatoire de ceux-ci.
- Glycogène, permettant à la cellule d’utiliser la voie de la glycolyse dans des conditions d’hypoxie (pus).
Une hypergranulation est souvent signe d’infection, parfois ‘injection de G-CSF, et l’hypogranulation, quand elle est franche, oriente vers une myélodysplasie.
3. La membrane externe des polynucléaires neutrophiles.
Les molécules de surface du PNN regroupées dans des régions particulières ou microdomaines (drafts) :
- elles jouent divers rôles dans la réponse neutrophile,
- on retrouve plusieurs de ces molécules également sur la membrane des granulations.
- elles sont identifiables par des anticorps monoclonaux,
La membrane externe est également riche en phospholipides, en inositol tri phosphate (IP3) et en diacylglycérol, intervenant dans la voie d’activation de la protéine kinase C (PKC), en glycolipides, leucotriènes, prostaglandines, … Ces lipides se retrouvent également pour partie au sein des membranes des granulations.
3.1. Molécules utiles à la réponse immune :
CD16, CD32, et CD 64, récepteurs respectivement à très faible, faible, et forte activité pour le Fc des IgG
Le CD16 est utile pour marquer les poly neutrophiles; il est absent des poly éosinophiles.
Récepteurs pour les facteurs de chimiotactisme : n-formyl-met-leu-phe (FMLP), C5a, leucotriene B4, et platelet-activating factor et PF-4, macrophage inflammatory protein (MIP)-1 et MIP-2, …
Récepteurs de fractions du C’.
3.2. Molécules d’adhésion :
Utiles à la migration dans les tissus :
sélectine CD62 L, CD66 (famille de molécules de la superfamille des Ig),
intégrines CD11a (LFA1), CD11b (Mac-1) et CD11c (p150) : toutes 3 sous forme d'hétérodimères avec le CD18 (= bêta-2 intégrine)
Leurs ligands sont principalement les ICAM, présentes à la surface de nombreuses cellules (dont les cellules endothéliales).
Forte implication dans la mobilité dans la matrice extracellulaire, vers les sites de l'inflammation.
Le CD11c est un marqueur très utilisé en cytométrie de flux (CMF) pour marquer les PNN.
3.3. Autres :
Aminopeptidase N (ou CD 13) : peut inactiver l’IL-8 et donc limiter son effet chimiotactique,
Endopeptidase neutre (ou CD 10) : peut inactiver le peptide chimiotactique FMLP. (impliquée dans la migration intra tissulaire)
CD15, ou antigène Lewis X
CD45, ou antigène leucocytaire commun (thyrosine phosphatase) : rôle dans le chimiotactisme.
Nombreuses autres : CD65, CD114 (G-CSF receptor), …
3.4. Les antigènes de groupes leucocytaires.
Ils sont appelés HNA (Human Neutrophil Antigens) : ce sont principalement :
HNA-1a, et son allèle HNA-1b, portés sur la molécule FcR gamma III (anciennement NA1 et 2).
HNA-2a (anciennement NB1), ou CD117.
Diverses autres molécules (HNA-3 à -5).
Selon les antigènes leur expression est associée à de petites modifications fonctionnelles des PNN : affinité différente pour les Ig, capacité de phagocytose.
Ils sont importants pour comprendre les neutropénies immunes.
Les molécules d’adhésion mises en jeu dans le roulement/adhésion sont très nombreuses : certaines sont présentes sur les PNN et leurs récepteurs présents sur les cellules endothéliales, alors que d’autres molécules (parfois les mêmes ou proches) sont présentes sur les cellules endothéliales et leurs récepteurs présents sur les PNN.
4. Fonction des polynucléaires neutrophiles.
La fonction majeure du PNN est de protéger l’organisme contre les agents infectieux.
4.1. Adhésion des PNN à l’endothélium, diapédèse et migration tissulaire.
A l’état normal environ 50% des PNN adhèrent +/- fortement à l’endothélium vasculaire (= pool marginé).
Les PNN du flux sanguin adhèrent d’abord faiblement à la paroi vasculaire : cette adhésion faible implique les sélectines, et leurs récepteurs à la surface des cellules endothéliales;
L’adhésion est augmentée si l’expression des intégrines de la membrane du PNN est suffisante, ce qui leur permet de se lier à des récepteurs spécifiques en surface de l’endothélium : les PNN sont marginés. En présence de chimioattactants (produits libérés par les bactéries, anticorps et facteurs du complément), captés par les PNN (récepteurs spécifiques), l’expression des intégrines est augmentée à la surface membranaire.
Après adhésion les PNN traversent la paroi vasculaire (diapédèse), puis migrent (déplacement amiboïde) dans les tissus en remontant le gradient de chimioattractants jusqu’à leur lieu d’action.
Remarque. Les chimioattactants induisent l’activation d’une cascade de transduction, complexe et impliquant des protéines G, la phospholipase C, le phosphatidylinositol bisphosphate (PIP2), le diacylglycérol et l’inositol 3 phosphate (IP3) [= voie de la PKC] [d’autres voies sont également stimulées, comme celle des sérine thréonine kinases].
4.2. Endocytose, pinocytose et phagocytose.
Endocytose = englobement d’éléments du milieu extérieur par le PNN.
Pinocytose = englobement de fractions de membranes sur lesquelles sont fixés des éléments étrangers (anticorps, complément) ou de liquide extérieur.
Phagocytose. La membrane du PNN emet autour de la particule étrangère (recouverte d'Ac, de C') des pseudopodes, qui s’unissent ensuite en formant une vacuole (= phagosome). Les granulations primaires (et secondaires) se collent à la membrane de cette vacuole et y libèrent leur contenu à action bactéricide et digestive (= phagolysosome ou vacuole de digestion).
4.3. Systèmes antimicrobiens du PNN.
Au sein de la vacuole de digestion l’effet antimicrobien est pour partie oxygène indépendant : le pH acide du lysosome et diverses molécules inhibent la croissance ou lysent les bactéries (lysozyme, lactoferrine, défensines, protéines cationiques).
Il existe aussi un système dépendant de l’oxygène, produisant diverses molécules à visée bactéricide.
Le « burst oxydatif » ou burst respiratoire correspond à une brusque augmentation de la consommation en oxygène qui a pour finalité la production d’anion superoxyde (O2-), de perhydrol et l’oxydation du glucose par le shunt des hexoses monophosphates. L’activation d’une enzyme, la NADPH oxydase, est la clé de ce burst : elle permet de catalyser la transformation de l’O2 en O2- en transformant le NADPH en NADP+ + H+.
Une autre enzyme, la superoxyde dismutase, transforme l’anion superoxyde O2- en perhydrol (O2- + 2H+ = H2O2).
La myéloperoxydase utilise l’H2O2 pour oxyder des radicaux halogénés (chlore et brome) et former de l’hypochlorite et de l’hypobromite, à grande activité antimicrobienne.
Remarques.
Il existe de rares situations (pathologie constitutionnelle) avec déficit d’une enzyme de cette voie :
- déficit en complet ou partiel en MPO : situation cliniquement inapparente, sans susceptibilité accrue aux infections (il existe donc des voies de compensation) [constitutionnelle ou acquise].
- granulomatose septique : maladie grave secondaire à l’incapacité à activer le burst oxydatif et sensibilité excessive aux infections bactériennes.
4.4. Capacités sécrétoires des polynucléaires neutrophiles.
Au cours de la phagocytose les granules spécifiques et les granules tertiaires libèrent aussi leur contenu dans le milieu extérieur : activation de la cascade du complément et de diverses molécules de surface (→ augmentation de leur efficience), libération de composants antimicrobiens (apolactoferrine), de collagénase et gélatinase qui permettent l’hydrolyse de la matrice extracellulaire et donc facilitent la locomotion, mais aussi le remodelage du tissu environnant (cicatrisation).
Parfois l’élément englobé n’est pas digéré [certains staphylocoques, les cristaux d’urate (goutte) ou d’hydroxyapatite], et le phagosome se détruit et lyse le PNN en libérant des composants qui peuvent endommager le milieu environnant (lésions tissulaires) et causer une inflammation secondaire.
A l’état normal il existe une exocytose, faible, qui libère notamment un peu de lysozyme et les transcobalamines I et III [fixent la B12 sérique de manière stable et la libèrent peu aux cellules utilisatrices, expliquant l’augmentation de la transcobalamine I et donc de la vit B12 sérique dans la LMC et la SMC].
5. Exploration des polynucléaires neutrophiles.
5.1. Le nombre et la morphologie.
Avec l’hémogramme et le frottis sanguin coloré au MGG, on définit :
Les valeurs normales et les variations quantitatives en fonction de l’âge :
Nouveau-né = 6 – 26 G/L
1 – 6 ans = 1.5 – 8.5 G/L
Adulte = 1.5 – 7 G/L (homme et femme)
Neutropénie si < 1.5 G/L Agranulocytose si < 0.5 G/L Polynucléose neutrophile si > 7.5 G/L
Quelques variations non pathologiques :
- neutropénie ethnique (race noire) : excès de margination (retour à la N après un repas) : N° PNN > 0.5 G/L ;
- Nb de PNN un peu plus élevé à partir de la 30 ième semaine de grossesse (mais rarement polynucléose vraie) ; polynucléose pendant le travail (parfois > 30 G/L) ; retour à la N en 3- 5 J.
- tabagisme chronique :polynucléose jusque 10 – 12 G/L
Les anomalies qualitatives :
Celles de la pathologie réactionnelle (hyposegmentation nucléaire ou vacuolisation des infections bactériennes, hypersegmentation des carences vitaminiques ou tumorale (anomalie Pseudo-Pelger, hypogranulation cytoplasmique dans les myélodysplasies).
Variations pathologiques : voir les documents concernant les neutropénies, agranulocytoses, et polynucléoses neutrophiles.
Tests d’exploration des neutropénies de répartition : très peu réalisés en pratique
Injection d’adrénaline (pour explorer la margination des PNN) :
En IM : pic de leucocytose après 15 ‘, par augmentation des PNN, PEosino et Lymphocytes ; retour à la N en qq heures ; second pic après 4H, uniquement pour les PNN (= sans doute sécrétion de glucocorticoïdes).
En IV : polynucléose neutrophile isolée, max en 5-10 minutes.
Administration de corticoïdes: après 1 heure augm des PNN (venant du pool marginé et du pool médullaire), diminution des éosinophiles et des lymphocytes maximales après 4-8 heures.
5.2. La ponction médullaire et le myélogramme.
On étudie les précurseurs : nombre (= 50-70% des cellules de la MO de richesse normale) et morphologie (excès ou défaut global de la lignée ou d’une catégorie, signes de dysplasie, …)
La biopsie ostéomédullaire est de peu d’utilité, sauf en cas de myélogramme pauvre ou ininterprétable.
5.3. Autres.
- Les aspects cinétiques (durée de vie, …) peuvent être mesurés par des méthodes isotopiques, (réservées à quelques laboratoires spécialisés, réalisation très très rare): on utilise des PNN prélevés dans le sang puis réinjectés après contact in vitro avec divers composants radiomarqués : DF32P (diisopropyl fluoro phosphate marqué au phosphore 32), radiochrome (51CrO4), ou 8-hydroxyquinoline marquée à l’111Indium.
- La mise en évidence de la myéloperoxydase (MPO).
La cytochimie de la MPO (utilise du perhydrol et un substrat coloré après oxydation) : sa positivité affirme le caractère myéloïde. Utile pour les situations de déficit acquis ou constitutionnel.
La présence de MPO est également appréciable par cytométrie de flux.
- L’exploration de la phagocytose – bactéricidie. Complexe (laboratoires spécialisés).
* Test au nitrobleu de tétrazolium (NBT) : des PNN isolés mis en contact avec une solution de NBT, quelques PNN sont colorés en bleu-noir = réduction du NBT. Si on ajoute un stimulant des PNN (suspension de parois bactériennes), tous les PNN réduisent le NBT = signe de bon fonctionnement du burst oxydatif. En cas de granulomatose septique : pas de réduction du NBT, même après stimulation. La technique est adaptée en cytométrie de flux, utilisant un composé non fluorescent (hydroéthidine) : les poly neutro sont activés avec du phorbol myrystate acétate et, s'ils contiennent le matériel enzymatique adéquat, clivent l'hydroéthidine en une molécule fluorescente avec une source laser. Dans la granulomatose septique ce clivage n'a pas lieu et la fluorescence est faible ou absente.
* Phagocytose. Les PNN isolés peuvent être mélangés à une suspension de bactéries et on apprécie la phagocytose puis la bactéricidie (morphologie et ensemencement de boites de culture). Anomalies dans la granulomatose septique.
* Motilité : migration au travers de membranes contre un gradient de chimioattractants.
- L’immunophénotype membranaire.
Pour rechercher des déficits en une molécule de surface (déficits immunitaires, HNP) ou intracytoplasmiques, ou pour définir le phénotype leucocytaire HNA.
- La microscopie électronique : laboratoires spécialisés.
Janvier 2016