Anémie hémolytique corpusculaire constitutionnelle liée à une mutation ponctuelle sur le gène de la ß globine. Elle est l’une des plus sévères et des plus fréquentes maladies monogéniques du monde.
1. Physiopathologie
L' HbS est le résultat d’une mutation du 17ième nucléotide (T – A) du gène de la β - globine, provoquant la substitution de l'acide glutamique (chargé négativement) en valine (AA neutre) au niveau du 6ième AA du segment A de la chaîne :
β2 6 glu → val
En milieu désoxygéné, ou en présence de cytokines libérées par l’infection ou l’inflammation, l’HbS se polymérise et se colle à la membrane du GR, et on observe :
une cristallisation de l’HbS qui détruit l’architecture du GR et sa flexibilité,
une deshydratation,
un stress cellulaire oxydatif.
Les GR se déforment en faucille (= drépanocytes) : rigides, ils provoquent l’obstruction de veinules post capillaires, avec pour conséquences :
des infarctus dans divers organes (douleur aiguë ; syndrome pulmonaire aigu, hyposplénisme, ostéonécrose, néphropathie) ;
la libération de molécules pro-inflammatoires, l’expression accrue de molécules d’adhésion, une hypercoagulabilité, responsables à terme d’hypertension pulmonaire, d’ulcères de jambes, de troubles cérébro vasculaires ;
l’hémolyse secondaire des drépanocytes est génératrice de radicaux oxygénés et de radicaux libres, diminuant la concentration en oxyde nitrique, altérant les parois vasculaires avec à terme des vasculopathies.
2. Epidémiologie et classification
Observée principalement chez les sujets noirs d’Afrique équatoriale, mais également dans le pourtour méditerranéen, le Moyen Orient, le continent indien et les zones de migration de ces populations (Amérique du nord et du sud).
La résistance partielle au paludisme à P. falciparum que confère la présence d’Hb S dans les GR (développement lent du parasite, réaction immune) a augmenté l’incidence dans diverse régions du continent africain.
On estime le nombre de nouveaux cas de maladie drépanocytaire par an à :
240 000 en Afrique,
26 000 en Asie du sud-est,
1 300 en Europe,
9 000 en Amérique (N + S).
Maladie à transmission autosomique: les sujets hétérozygotes sont AS et cliniquement sains, et les homozygotes SS sont malades.
D'autres anomalies des gènes de globine ainsi que la persistance d’une expression minimale d’HbF vont modifier l’importance de la cristallisation de l’HbS, et donc la sévérité de la maladie :
maladie drépanocytaire sévère:
Hb S/S : la forme la plus fréquente
Hb S/β0 thalassémie : Méditerranée, Inde (0 % d’HbA)
Hb S/β+ thalassémie sévère : Méditerranée, Inde (1 – 5 % HbA)
maladie drépanocytaire modérée:
Hb S/C : 25 % des drépanocytoses dans les populations d’origine africaine,
Hb S/b+ thalassémie modérée : Méditerranée (6 – 15 % HbA)
maladie drépanocytaire discrète:
Hb S/b+ thalassémie mineure : populations d’origine africaine (15 – 30 % HbA)
Hb S/E : Asie du sud-est (assez rare)
maladie drépanocytaire presque inapparente:
Hb S/ PHHF : grandes délétions du complexe b globine (souvent = 30 % Hb F).
Hb S/ autres variants d’Hb : notamment co héritage avec une α thalassémie.
La concentration en Hb F des drépanocytaires varie de 1 à 30 %, déterminée de manière héréditaire (divers loci ont été identifiés).
Remarque : il existe de nombreuses autres situations d’hétérozygotes composites Hb S et une autre globine anormale, plus rares que celles citées ci-dessus.
3. Principaux aspects cliniques
La drépanocytose hétérozygote ou trait drépanocytaire est une affection cliniquement inapparente (quelques cas de crises drépanocytaires ont été décrits, à type d’infarctus splénique, dans des situations extrèmes : altitude et exercice physique intense).
Aspects cliniques de la drépanocytose homozygote Hb S/S.
Les signes cliniques apparaissent quelques mois après la naissance :
parce que la synthèse de l’Hb S débute autour de la naissance.
et quand l’HbF n’est plus présente dans les GR.
Ils apparaissent parfois plus tardivement, vers 2-4 ans.
La maladie est dominée par :
* des accidents ischémiques aigus : le plus souvent vaso-occlusifs, et douloureux. Diverses circonstances peuvent les provoquer : déshydratation , acidose, hyperthermie, infection, hypoxémie, troubles ventilatoires, exposition au froid, …
* des complcations chroniques. A long terme les accidents ischémiques aboutissent à des séquelles définitives et diverses altérations sont observables : cardiopulmonaires (HTAP), rénales, endocriniennes (retard de croissance), neuro-sensorielles (cécité, surdité, déficits moteurs), ostéoarticulaires, …
* Le syndrome anémique est d’importance variable (pâleur cutanéo-muqueuse), peu modifié par les crises vaso-occlusives.
* Les causes majeures de mortalité chez l’enfant africain sont le paludisme et la sensibilité accrue aux infections (notamment pneumocoque et Hemophilus), en rapport avec l’atrophie splénique progressive de la rate (asplénie vers l’âge de 8-10 ans).
* L’érythroblastopénie aiguë transitoire suite à une infection avec parvovirus B19 provoque une absence de régénération médullaire et un syndrome anémique sévère.
* Le diagnostic est souvent évoqué sur le caractère familial des signes d'appels, l’ appartenance aux ethnies concernées, la date d'apparition de la pathologie (après quelques mois de vie).
Drépanocytose associée à une autre anomalie de globine : la tableau clinique est parfois très sévère et doit faire évoquer une Hb S/b thalassémie, soit la maladie est atténuée, ou parfois même inapparente (voir tableau ci-dessus).
La rate.
L’atrophie splénique est la règle dans la drépanocytose homozygote Hb S/S, alors qu’une splénomégalie doit faire évoquer une Hb S/b thalassémie.
4. Diagnostic biologique
Il est orienté avec les données de la clinique, l’hémogramme complet avec réticulocytes, la ferritinémie, et un bilan standard pour la recherche d’une hémoglobine anormale » , qui doit incure 3 tests phénotypiques distincts, dont au moins une technique électrophorétique [ d’après la nomenclature des analyses de biologie médicale (NABM)].
Deux tests phénotypiques seront choisis parmi les suivants :
électrophorèse de l’Hb à pH alcalin ou acide,
focalisation isoélectrique,
test d’Itano,
CLHP en phase inverse des chaînes de globine.
Et on utilisera en trosième test la chromatographie liquide hautes performances (CLHP) par échange de cations ou l’électrophorèse capillaire automatisées pour quantifier de manière précise l’Hb A2.
4.1. Drépanocytose hétérozygote Hb A/S
Diagnostic réalisé surtout lors d'une enquête familiale.
- Hémogramme : normal, et morphologie des GR normale.
- Test de falciformation ou test d’EMMEL ou test au métabisulfite.
(une goutte de sang EDTA + 1 goutte de solution métabisulfite placées entre lame et lamelle).
Le métabisulfite consomme l’oxygène et entraîne la cristallisation de l’Hb : une partie des GR devient falciforme.
- Test de solubilité d'ITANO.
L’HbS est seule à précipiter en milieu réducteur à forte concentration saline : la turbidité de la solution est proportionnelle à la quantité d’Hb S.
- Electrophorèse de l’hémoglobine (avec les techniques mentionnées ci-dessus) :
Hb A = 55 - 70% |
Hb S = 30 - 45% |
Remarque : un patient homozygote transfusé peut présenter un profil d’hétérozygote.
4.2. Drépanocytose homozygote
Anémie d’installation progressive après quelques mois de vie.
Les drépanocytes n’apparaissent que vers 6 mois – 1 an, quand l’HbF a disparu
Hémogramme
- anémie : Hb= 7 - 9 g/dL
- normochrome (CCMH > 31 – 32%)
- normocytaire : VGM normal
- régénérative : réticulocytes = 200 - 400 G/L
- frottis sanguin: présence constante de drépanocytes (5 -15 %) [et de quelques GR en forme de bateau], et de 10 - 30 % d’hématies en cible.
(aniso- poikilocytose).
Erythroblastémie d’importance variable (0 – 20 %).
Corps de Jolly : apparaissent vers 3 - 4 ans, et en nombre significatif à partir de 6 -10 ans (= témoin de la faible fonctionnalité de la rate).
Leucocytes : nombre normal, ou parfois augmenté (polynucléose neutrophile).
Plaquettes : nombre normal.
VS = normale (les GR ne forment pas d’empilements, même en cas d’état inflammatoire)
Test de solubilité d'ITANO positif (turbidité en présence d’une solution desoxygénante) ; il atteste de la faible solubilité de l'HbS à l'état désoxygéné
(positif également si AS, SC, ou Sb0 thal).
Electrophorèse de l’hémoglobine
Hb A = 0 % |
Hb S = 80 – 95 % |
Hb F = 1 - 10 % |
Hb A2 = 2 à 3.4 % |
Observations biocliniques commentées : Observation 24
Remarque : il n’est pas possible de distinguer à l'électrophorèse un homozygote S/S d'un double hétérozygote S/β0 thal. (mais dans ce cas il y a microcytose). Dans ce dernier cas, une étude moléculaire de l’allèle β 0 -thalassémique (mutation ou délétion) est recommandée dans l’éventualité d’un prochain diagnostic prénatal dans la famille. Si l’étude parentale est impossible, l’analyse moléculaire du cas index est alors recommandée.
4.3. Forme hétérozygote avec d’autres hémoglobines
On utilise les données de l’hémogramme et notamment le VGM. Dans les situations abordées ci-dessous le VGM est nettement diminué (sauf pour l’Hb S/C).
4.3.1. Hémoglobinose S et persistance héréditaire de l’Hb fœtale (PHHF)
Environ 1/1000 naissances chez les noirs portent le gène délété de la PHHF : on estime
cette association à 1% des drépanocytoses homozygotes.
Asymptomatique ; anémie absente ou discrète (12 – 14 g/dL chez l’adulte ; VGM : microcytose)
Electrophorèse de l’Hb :
* à la naissance l’aspect peut évoquer une drépanocytose homozygote (perturbe le dépistage systématique)
* adulte : microcytose avec hématies en cible, excès d’Hb S (30 - 60%) et > 20 – 30% d’HbF
Hb A = 0 % |
Hb S = 30 - 60 % |
Hb F > 20 – 30 % |
4.3.2. Hémoglobinose S / β thalassémie.
Manifestations cliniques variables, allant de formes très sévères à des situations quasi asymptomatiques (voir tableau dans le chapitre « épidémiologie »).
La splénomégalie est fréquente , à l’opposé de l’Hb S/S où il y a atrophie splénique.
* S / β0 thalassémie : pas de synthèse d’Hb A
Maladie souvent sévère, avec splénomégalie.
Hémoglobine = 7 – 10 g/dL
Microcytose ( différence avec drépanocytose).
Sur frottis sanguin : pas de drépanocytes (ou très rares), nombreux GR en larme, anisopoïkilocytose, hématies cibles.
Réticulocytes = 150 – 250 G/L
Electrophorèse de l’Hb :
Hb A = 0 % |
Hb S > 80 % |
Hb F = 5 -20% |
Hb A2 = 4 – 6% (différence avec Hb S/S) |
* S / β+ thalassémie : synthèse d’Hb A en quantité faible
Maladie +/- symptomatique ; splénomégalie.
Anémie modérée (hémoglobine = 10 – 12 g/dL).
Sur frottis sanguin : pas de drépanocytes (ou très rares), nombreux GR en larme, GR en cible.
Electrophorèse de l’Hb :
Hb A = 10 – 30 % |
HbS = 60 – 80 % |
Hb F = 5 – 20 % |
Hb A2 = 4 – 6 % |
4.3.3. Hémoglobinoses S / α thalassémie.
Très fréquente chez les africains et les patients Indiens et d’Arabie Saoudite
L’association d’une α thal avec une hémoglobinose S diminue la quantité d’HbS de l’hématie, et diminue sa tendance à cristalliser.
Crises douloureuses fréquentes, mais complications moins nombreuses.
Anémie +/- nette, avec microcytose (et +/- hypochromie).
Quantité d’Hb S à l’électrophorèse |
|
Hb S hétérozygote sans athalassémie |
35 – 45 % |
Hb S hétérozygote et -α/αα |
30 – 35 % |
Hb S hétérozygote et -α/-α |
20 – 30 % |
Hb S homozygote et -α/-α |
tableau de drépanocytose biologiquement moins franc (pas de drépanocytes, hyperréticulocytose moins franche) mais pas de diminution de la sévérité clinique |
le gène -- est très rare chez les sujets noirs, expliquant que la drépanocytose avec hémoglobinose H est très rare |
4.3.4. Hémoglobinose S/C
Environ 1/1000 naissances au Ghana et en Jamaïque.
Maladie drépanocytaire plus modérée : crises douloureuses moins fréquentes, mais les complications sont possibles, notamment une perte progressive de la vision à l’âge adulte (rétinopathie).
Hémogramme :
Anémie modérée : Hb = 10 – 14 g/dL
Microcytose modérée ou absente : VGM = 75-90 fL
CCMH normale ou augmentée = 35 – 38%, car les GR sont légèrement deshydratés (= xérocytes)
Réticulocytes = 100 – 200 G/L
Leucocytes et plaquettes = Nb normal.
Sur frottis sanguin :
Hématies en cible = 30 – 50 %
Drépanocytes vrais : très rares ; mais quelques « gros drépanocytes » ou GR en forme de bateau.
Parfois quelques GR déformés avec une zône claire sans Hb et une partie dense d’Hb C polymérisée sous forme de cristaux de forme auguleuse ou polyédrique.
Electrophorèse de l’Hb :
Hb A = absente |
Hb S = 40 – 50 % |
Hb C = 40 – 50 % |
Hb F = N ou ± augmentée |
4.4. Diagnostic à la naissance
Permet la prise en charge avant l'apparition des signes cliniques. Se réalise sur goutte de sang récupéré sur papier buvard puis récupération de l’hémolysat)
Les techniques d’isoélectrofocalisation sont plus performantes pour identifier les fractions très modérées avec moins de 10% HbS.
En pratique : la présence d’Hb F, d’une quantité variable (souvent faible) d’Hb S, et l’absence d’Hb A sont utilisées pour le diagnostic. On ne peut séparer l’Hb S/S, l’ Hb S/β0 thalassémie, etl’Hb S/PHHF. En cas de difficulté diagnostique on étudie l’enfant plus tard ou les parents sur les tracés electrophorétiques, ou on utilise la PCR pour différencier Hb S/S et Hb S/β0 thalassémie
4.5. Diagnostic prénatal
Il peut être réalisé chez les couples d'hétérozygotes. La biologie moléculaire permet de faire le diagnostic vers la 10ième semaine de grossesse, à partir d'une biopsie de villosités choriales, ou parfois par isolement de cellules fœtales dna sle sang maternel (par cytométrie de flux).
Les techniques moléculaires étudient l’ADN. La mutation du gène porte sur un site de clivage de l’enzyme de restriction Mst II : le site n’étant plus clivé après digestion enzymatique, on obtient un fragment d’ADN anormalement long, que l’on peut amplifier avec des oligonucléotides spécifiques de la région de mutation (PCR).
5. Traitement
* Prévention des crises algiques :
- vaccinations (pneumocoque, haemophilus...)
- bonne hydratation
- éviter fatigue, pas de variation importante de température ou d'altitude
- acide folique (1cp/j 10 premiers jours du mois).
- Oracilline
* En cas de crise drépanocytaire bénigne : repos au chaud + antalgique
* En cas de crise drépanocytaire plus importante : hospitalisation, repos, hyperhydratation, antalgiques, et traiter la cause déclenchante : infection, hypoxémie, stress. Traiter la déglobulisation aiguë (concentrés érythrocytaires), les accidents vaso-occlusifs graves (échanges transfusionnels), les complications chroniques
* traitements basés sur l’induction de synthèse d’HbF.
L’Hb F présente dans les GR, même à faible concentration inhibe la cristallisation de l’HbS.
Certains médicaments, comme l’hydrea sont proposés (l’anémie devient macrocytaire).
* D'autres thérapeutiques sont à l’étude : inhibition chimique de la polymérisation de l'Hb S, diminution de la concentration intracellulaire en hémoglobine, …
* La thérapie génique est en phase active d’étude
* La greffe de moelle allogénique n’est envisagée que pour des cas très précis
octobre 2011