Polyglobulie primitive de Vaquez et autres polyglobulies

1. définition

                La polyglobulie primitive de Vaquez (PV) est un syndrome myéloprolifératif clonal avec prolifération des 3 lignées médullaires, splénomégalie et complications thrombo-hémorragiques.

                Elle est quasi constamment associée à l’existence d’une mutation particulière d'un gène codant pour la protéine de transduction du signal JAK2.

2. Circonstances de découverte et situation clinique

Incidence : 3-5 nouveaux cas par an pour 100 000 habitants.

Souvent après 50 ans (médiane vers 60 ans) et plus fréquente chez l'homme.

La maladie est découverte :

* Soit par la présence d'un ou plusieurs signes cliniques de la maladie :

                   accident thrombotique, prurit à l’eau, érythromélalgie, splénomégalie, érythrose apparue progressivement, cutanéo-muqueuse, plus visible au niveau du visage et des mains (quasi constante, rarement motif de consultation),

                   ou signes cliniques liés à l'hypervolémie et l'hyperviscosité : signes vasculaires ou neurosensoriels: céphalées, vertiges, troubles visuels, paresthésies, thrombose veineuse ou thrombose artérielle

                   parfois devant un signe de syndrome myéloprolifératif : prurit à l'eau, crise de goutte (hyper uricémie), splénomégalie (présente dans 50-75% des cas, de volume modéré).

* Soit par une anomalie lors d'un hémogramme pratiqué lors d'un bilan (hématocrite > 54% chez l'homme et > 47 % chez la femme = valeurs supérieures de référence de l'Hte)

Par ailleurs : hépatomégalie rare ; absence d’adénopathies

3. Biologie.

3.1. Hémogramme.

Hématies et hémoglobine

Augmentation parallèle de l'hémoglobine et de l'hématocrite au-delà des valeurs normales pour l'âge et le sexe (voir critères OMS 2016)

 

 Nb de GR > 6 T/L chez l’homme et 5.5 T/L chez la femme

Normochrome normocytaire ; parfois d’emblée légèrement hypochrome et microcytaire (carence martiale surajoutée).

Morphologie érythrocytaire normale (hyperviscosité et étalement difficile si hématocrite très élevé).

Remarque : L'Hte est souvent choisi comme critère de suivi des pts.

Leucocytes

Nb normal ou peu augmenté (jusque 20 G/L) avec polynucléose neutrophile, éosinophilie, basophilie modérée ( 3%).

Myélémie absente ou discrète (5%)

Plaquettes

Thrombocytose fréquente mais modérée (jusque 600 G/L), mais parfois > 1000 G/L

Présence de macrothrombocytes (thrombopathie fréquente)

3.2. Myélogramme et biopsie ostéo médullaire (BOM)

Myélogramme : a peu d'intérêt (augmentation globale du tissu myéloïde, donc décompte normal, sans anomalies morphologiques). Souvent légèrement hémodilué et de mauvaise qualité du fait de l'hyperviscosité.

BOM : hyperplasie globale (richesse 4 ou 5 : baisse ou disparition des cellules graisseuses) et souvent excès de mégacaryocytes. Trame réticulinique habituellement normale au début (densification dans 10% des cas au Dg). La myélofibrose apparaît avec l'évolution (après 10-15 ans et plus) chez 1/3 des pts.

3.3. Mutation du gène JAK2

- La mutation JAK2 V617F est retrouvée dans 98 % des PV, avec constamment au moins quelques cellules homozygotes : l’homozygotie semble spécifique de la PV. Une mutation de JAK2 dans l'exon 12 est retrouvée dans 2 % des cas.

- Il n'y a pas de mutation du gène de la calréticuline dans la maladie de Vaquez 

Rappel : mutation JAK2 V617F : non spécifique le la M de Vaquez, car retrouvée dans 50 - 60 % des TE et des SMC, et quelques syndromes myéloprolifératifs / myélodysplasiques (essentiellement l'ARSI-thrombocytose).

Mécanisme d’action de JAK2 et sa mutation. A l’état normal, quand l'EPO se fixe à son récepteur sur la membrane de l'érythroblaste la protéine tyrosine kinase cytoplasmique JAK2 se mobilise et se fixe à la partie sous membranaire de l’EPO-R : elle se phosphoryle, ce qui active puis entraine la dimérisation du facteur de transcription STAT5. Ce dernier peut alors se transloquer au noyau et agir sur le plan transcriptionnel.

Dans la PV une mutation ponctuelle sur le gène jak2 entraîne une substitution valine - phénylalanine sur la protéine JAK2 (mutation V617F), ce qui provoque une activation constante (= constitutive) de JAK2, ce qui stimule constamment la dimérisation de STAT5. La présence d’EPO nest plus nécessaire pour stimuler les érythroblastes.

3.4. Autres examens

* Mesure isotopique de la masse globulaire totale

Autrefois indispensable au diagnostic (sauf si Hte >60%).

Elle affirme la polyglobulie et son importance [associe l’emploi de GR marqués au radiochrome 51 et d’albumine marquée à l’iode 125; on mesure le Volume Sanguin Total (VST) et le Volume Globulaire Total (VGT)]. Un VGT > 36mL/kg chez l’homme ou > 32mL/kg chez la femme, soit une augmentation d’au moins 25% par rapport aux témoins affirme une polyglobulie vraie.

* Etude de la croissance des progéniteurs érythrocytaires in vitro

                Obtention spontanée de colonies érythroblastiques à partir d’un prélèvement médullaire cultivé sur milieu contenant du sérum mais sans adjonction d'EPO. Les colonies apparaissent en l‘absence d’EPO au cours de la PV, mais également dans une bonne partie des TE et splénomégalies myéloïdes chroniques.

* Dosage d'EPO sérique

                Normale basse ou abaissée (des valeurs élevées excluent la PV).

* Divers

VS : basse ou quasi nulle

Examens biologiques d’importance relative :

Vitamine B12 sérique augmentée et proportionnelle à l'hyperplasie granuleuse

Souvent: fer sérique abaissé ; bilirubine indirecte augmentée ; protéinurie modérée sans insuffisance rénale ; LDH augmentées ; uricémie augmentée dans 50% des cas ; étude de l'hémostase (TS Ivy) allongé (thrombopathie) ; mesure des gaz du sang artériel montrant une SaO2 > 92%. Viscosité sanguine : très augmentée (n = 1.5 – 1.8 centipoises), parfois multipliée par 7. Hyperexpression du gène PRV-1. Diminution de la sérotonine sanguine.

Appréciation cytochimique des phosphatase alcalines intraleucocytaires (PAL) > 100 (N = 20 – 120) (n’est plus réalisé).

4. Critères diagnostiques de l’OMS 2016

Critères majeurs:

1.      Hémoglobine > 16,5 g/dL chez l’homme ou > 16 g/dL chez la femme

         Ou

         Hématocrite > 49% chez l’homme ou > 48% chez la femme

         Ou

         Augmentation de la masse sanguine (> 25% au-delà de la valeur normale attendue)

2.     BOM montrant une hypercellularité pour l’âge avec prolifération excessive des 3 lignées myéloïdes (panmyélose), incluant une prolifération de mégacaryocytes polymorphes et matures (avec des tailles cellulaires différentes) 

3.     Présence d’une mutation JAK2V617F ou JAK2 exon 12

Critère mineur :   EPO sérique normale ou subnormale

Le diagnostic de PV nécessite soit l’ensemble des 3 critères majeurs, soit les deux premiers et le critère mineur

Le critère 2 (BOM) n’est pas indispensable en cas d’érythrocytose absolue [Hb > 18.5 g/dL (ou Hte > 55.5 %) chez l’H ou > 16.5 g/dL (Hte > 49.5%) chez la F] si le critère majeur 3 et le critère mineur sont tous deux présents.

Mais : une myélofibrose est présente chez 10-20% des patients et ne peut être détectée que par BOM (critère d’évolution plus rapide vers une MF post-PV

5. Diagnostic différentiel : les autres polyglobulies (fausses ou vraies)

                Parfois simple augmentation du nombre des hématies au-delà des valeurs normales. En pratique on doit envisager le diagnostic de polyglobulie (ou érythrocytose) quand l’Hte est > 54% chez l’homme et > 47% chez la femme.

- Intégrer en première intention divers examens de base :

                hémogramme complet, ferritinémie, dosage des B12 et folates sanguins, créatininémie, tests hépatiques, oxymétrie (désaturation artérielle quand la PaO2 65 mm Hg ; saturation calculée 92%), rechercher une splénomégalie (palpable ou échographie abdominale), carboxyhémoglobine (éventuellement)

- Selon les résultats, envisager parmi les examens suivants ceux qui sont les plus adaptés :

                masse sanguine, histologie médullaire, caryotype médullaire, érythropoïétine sérique, courbe de dissociation de l’hémoglobine, étude du sommeil, fonction pulmonaire et clichés thoraciques, échocardiographie. Une recherche de mutation de JAK2 peut être envisagée.

* Les fausses polyglobulies

- Obésité, pertes liquidiennes, tabagisme, hypertension, alcoolisme, désaturation en oxygène, syndrome de Gaisbock (adulte obèse hypertendu avec néphropathie), stress excessif.

- Thalassémie hétérozygote : Nb d’hématies un peu augmenté, mais VGM bas, Hb normale basse, et Hte normal ou abaissé

Masse sanguine: non faite, elle serait normale ou légèrement augmentée; au moins ¼ des pts présentent un volume plasmatique total diminué (hémoconcentration)

* Les vraies polyglobulies

Masse sanguine > d’au moins 25% par rapport aux normales prévues.

En dehors de la PV on pourra rechercher :

- Polyglobulies congénitales.

primitive (rare) : maladie polyclonale liée à une mutation sur le gène du récepteur de l’érythropoïétine, entraînant une hypersensibilité à l’EPO

secondaires :                hémoglobine à affinité accrue pour l’O2

                                   déficit en 2,3-DPG mutase

                                   hyperproduction autonome d’EPO

- Polyglobulies acquises (secondaires).

Secondaires à une hypoxie (qui induit une hypersécrétion d’EPO) :

                Altitude

                Cardiopathies congénitales cyanogènes

                Insuffisances respiratoires chroniques

                Tabagisme excessif (excès de CO, et défaut de délivrance de l’O2 aux tissus)

Secondaires à une sécrétion inappropriée d’érythropoïétine : tumeurs malignes ou non

                Maladies rénales (tumeurs, rein polykystique, hydronéphrose, autres  …)

                Lésions hépatiques (hépatome, cirrhose, hépatite)

                Tumeurs endocrines (Cushing)

                Tumeurs diverses (hémangiome du cervelet, avec hypertension intracrânienne et syndrome cérébelleux)

Erythrocytose pure idiopathique (rare ; début d’une maladie de Vaquez ?)

- Polyglobulies des autres syndromes myéloprolifératifs

Dans quelques cas de LMC avec chromosome Philadelphie, ou de splénomégalie myéloïde chronique ou de thrombocytémie essentielle on peut observer une augmentation de la masse sanguine totale.

6. Complications, évolution, et traitement Vaquez.

Maladie d’évolution lente et prolongée: médiane de survie > 10 ans

* Complications immédiates

- complications vasculaires du fait de l’hyperviscosité sanguine.

Les thromboses veineuses ou artérielles (risque proportionnel à l' Hte, âge >65ans ; HTA ; diabète ; plaquettes > 1000 G/l) [le syndrome de Budd Chiari correspond essentiellement à une thrombose des veines sushépatiques et est une présentation inaugurale ou une complication particulière chez le sujet jeune]

- Hémorragies possibles (déficit fonctionnel des plaquettes, même chez les pts avec manifestations thrombotiques)

- Hyperuricémie (goutte, lithiase)

* Evolution, complications tardives

On définit 3 phases :

                Une phase prodromale (sur plusieurs années), avec augmentation modérée de l’Hb sanguine ; la mutation JAK2 est présente (quelques cellules homozygotes pour la mutation), l’Epo est diminuée, il existe une croissance spontanée des progéniteurs érythroblastiques en culture in vitro (quelques cas évoquent une TE à son début) ;

                Une phase d’état prolongée, de 10-15 ans, avec Hb augmentée, habituellement bien contrôlée avec traitement +/- intermittent ; une fibrose médullaire et une splénomégalie vont s’installer progressivement chez une partie des patients ;

                Une phase de transformation, survenant tardivement (> 10 - 15 ans) :

                                           = chez 30 % des pts (à 10 ans) : accentuation de la myélofibrose et de la splénomégalie 
                                               aspect biologique proche de celui d’une splénomégalie myéloïde (appelée parfois M de Vaquez « vieillie »)

                                           = chez 5-15 % des pts (à 10 ans), transformation terminale en LAM/SMD (parfois favorisée par des injections itératives de P32 ou l'hydroxyurée).

Les anciens traitements (Phosphore 32, agents alkykants) augmentaient le risque de transformation en LAM/SMD, alors que l'hydroxyurée ne semble pas leucémogène (c'est un agent myélosuppresseur non alkylant, qui a un effet cytotoxique en inhibant la ribonucléotide réductase, ce qui inhibe la synthèse de l'ADN.

On remarque :     - la fréquence de découverte d'anomalies cytogénétiques augmente lors de la transformation en LAM/SMD ou en MF
                         - la quantité d'allèle muté JAK2 influe sur le risque de transf en MF, mais pas sur le risque de transf en LAM/SMD.
                         - 3 gènes sont fréquemment impliqués dans la transf PV en LAM/SMD : IDH1 et IDH2, IKZF1, et TP53

* Les facteurs de risque :

M de Vaquez à haut risque : 1 seul des critères ci-dessous suffit

M Vaquez de faible risque = aucun de ces facteurs :

                                         âge > 60 ans

                                        thromboses documentée(s), érythromélalgie résitant à l'aspirine

                                        N° PLT > 1000 G/L

                                        diabète et HTA avec traitement

                                       splénomégalie > 5 cm ou symptomatique (qui constitue aussi une indication de traitement)

* Buts du traitement

Réduire ou arrêter la nécessité de saignées,

Faire disparaître les troubles de la microcirculation, maux de tête, prurit,

Réduire ou normaliser l’hémogramme (Hb, N° PLT, N° leuco),

Réduire (éliminer ?) la charge moléculaire anormale.

- Prurit : antihistaminiques.

- Saignées :

300 mL/saignée, 2 à 3 fois par semaine au début puis tous les 1 à 3 mois en fonction de l'hématocrite (surveiller l’état cardiaque), puis espacer les saignées. On conseille de ramener l’Hte à 45%.

On induit souvent une carence martiale avec hyposidérémie et microcytose (à ne pas traiter). Par contre l’hyperplaquettose ne se corrige pas et les complications thrombotiques peuvent augmenter.

Assez astreignantes, mais sans risque leucémogène, elles sont la base thérapeutique quel que soit l’âge ; on y associe l’aspirine à faible dose.

- Traitement myélosuppresseur : dans les PV de risque élevé.

                                  hydroxyurée (Hydréa) :2 à 4 gélules de 500 mg par jour en traitement d'attaque avec 1 contrôle par semaine puis selon les résultats de l'hémogramme avec 1 contrôle mensuel. Ce médicament entraîne une macrocytose des hématies et une polysegmentation du noyau des granulocytes.

                          Pipobroman (Vercyte) : même type de traitement et de surveillance qu'avec l'Hydréa.

                         Moins utilisé aujourd’hui : radiophosphore 32 : une injection ; éventuellement une seconde injection après quelques mois si efficacité insuffisante. Il est incorporé par les cellules en cycle, donc non spécifique de l’érythropoïèse. Effet retard (1 - 2 mois) souvent associé à une cytopénie transitoire. Il augmente légèrement le risque leucémogène et la fréquence de tumeurs solides associées.

* Suivi du traitement.

* diminution de l'Hte après les saignées (reprendre les saignées si Hte > 45%); apparition d’une microcytose hypochrome (sans anémie associée)

* chimiothérapies : surveiller que les PLT diminuent 400 G/L ; macrocytose habituelle

Critères de réponse thérapeutique dans la M de vaquez :

Réponse complète :      Hte 45 % sans saignées,       N° PLT 400 G/L,             N° leucocytes 10 G/L,

et absence de signes liés à la maladie (anomalies microvasculaires, prurit, maux de tête), et taille splénique normale à l’imagerie.

Réponse partielle : pts ne répondant pas à tous les critères de réponse complète, et Hte 45 % sans saignées ou réponse à 3 ou + des autres critères.

Absence de réponse : pts ne répondant pas aux critères de réponse partielle.

Critère de réponse complète histologique (BOM) : richesse médullaire N et absence de fibrose réticulinique.

Pour information : Critères diagnostiques de l’OMS 2008

Le diagnostic nécessite soit les 2 critères majeurs + 1 critère mineur, soit le premier critère majeur + 2 critères mineurs.

Critères majeurs :

                (1) Hémoglobine > 18.5 g/dL (H) ou > 16.5 g/dL (F) ou :

                               Hb ou Hte > à la limite supérieure pour l’âge, le sexe, l’altitude et le lieu de résidence,

                               ou Hb > 17 g/dL (H) ou > 15 g/dL (F) si preuve d’une augmentation d’au moins 2 g/dL non associée à la correction d’une carence en fer,

                               ou augmentation de la masse érythrocytaire (VGT) > 25 % au dessus de la valeur normale attendue,

                (2) Présence de la mutation JAK2 V617F ou d’une mutation apparentée

Critères mineurs :

                (1) BOM montrant une hypercellularité avec prolifération excessive des 3 lignées,

                (2) EPO sérique N ou N

                (3) formation spontanée de colonies érythroblastiques in vitro

Références.

Barosi G et al. Blood 2009 ;113 :4829-4833.

Vardiman JW, et al. The 2008 revision of the World Health Organization (WHO) classification of myeloid neoplasms and acute leukemia: rationale and important changes. Blood 2009 114: 937-951

Bjorkholm et al. Leukemic transformation in myeloproliferative neoplasms: Therapy-related or unrelated? Best Practice & Research Clinical Haematology 2014;27:141-153

Mai 2016