Introduction
La vitamine B12 est un cofacteur essentiel aux processus de méthylation, notamment la biosynthèse du thymidylate, constituant de l’ADN. Sa carence provoque un ralentissement des divisions cellulaires, particulièrement dans les tissus à renouvellement rapide (hématopoïèse, tractus digestif) ainsi que des perturbations neurologiques.
1. Etiologie de la carence en vit B12
La carence est relativement courante, d’origine diverse.
La maladie de Biermer (Addison-Biermer pour les anglo-saxons) est en cause dans 40-50% des cas : maladie survenant surtout vers 50 – 65 ans, avec une prédominance féminine (1.5/1), un peu plus fréquent chez les sujets caucasiens (prévalence : environ 1.5% après > 60 ans), d'origine auto-immune, avec atrophie de la muqueuse gastrique (corps et fundus), ce qui provoque un défaut de synthèse du facteur intrinsèque et donc un déficit d’absorption de la vitamine B12.
Autres causes (50-60% des cas)
- Les autres causes de déficit de production de FI : gastrectomie totale ou partielle, atrophies gastriques non biermériennes, infection chronique à H. pylori, autres gastrites chroniques, by-pass gastrique (traitement de l’obésité)
- Défaut d’absorption intestinale (du complexe B12-FI) : résection iléale, insuffisance pancréatique chronique, maladies iléales (maladie de Crohn, coeliaque, sprue), anse borgne, SIDA, pullulations microbiennes, ankylostomiase, giardiase.
- Mauvaise séparation de la vit B12 à partir de ses complexes alimentaires au niveau du tractus digestif : circonstance très fréquente de carence en vit B12 chez le sujet âgé.
- Défaut d’apport (sujet sain = réserves pour 3-5 ans) : apport chroniquement insuffisant chez les patients âgés, dénutris, selon les habitudes alimentaires (végétariens, végans).
- Augmentation des besoins : hémolyse très chronique, infection VIH.
- Médicaments et toxiques : éthylisme chronique , prise chronique d’antiacides, inhibiteurs de pompes à protons, anti récepteurs H2, autres médicaments (metformine, colchicine, médicaments influant sur le taux de potassium, cholestyramine, oxyde nitreux)
- Maladies constitutionnelles/héréditaires (très rares) : déficit congénital en transcobalamine II ou en d’autres enzymes du métabolisme de la vit B12, maladie de Imerslund-Najman-Grasbeck (déficit constitutionnel en FI). A envisager surotut chez le NNé et le nourrisson.
- Syndrome de Zolinger Ellison
L’anémie n’est pas toujours présente, et le VGM peut être encore normal
Dans les malabsorptions globales une carence martiale associée limite l’augmentation du VGM
2. Aspects cliniques généraux.
La symptomatologie clinique est souvent plus franche dans la M Biermer que dans les autres carences en B12.
Signes variables d’insuffisance médullaire par anémie (macrocytaire) ou parfois par pancytopénie : anémie d'installation progressive, souvent bien tolérée malgré une hémoglobine parfois très basse
Symptomatologie cérébrale (troubles cognitifs, dépression), et/ou neurologique (inconstante, parfois trompeuse, avec déficit sensitif, parfois sensitivo moteur (paresthésies), disparition des réflexes, multinévrite ; la forme évoluée est la sclérose combinée de la moelle, avec quadriparésie, rare mais souvent définitive).
Signes digestifs, souvent au premier plan, en rapport avec l'atrophie des muqueuses digestives : glossite atrophique avec sécheresse buccale, brûlures, langue lisse, rouge, brillante, dépapillée (glossite de Hunter),dysphagie, douleurs abdominales, troubles dyspeptiques, constipation, diarrhée.
Signes cutanés : hyperpigmentation palmo-plantaire, vitiligo fréquent, pâleur (anémie), subictère fréquent (jaune citron), secondaire à l’hémolyse intramédullaire.
Maladie auto-immune associée à la M Biermer dans 10% des cas : diabète de type I, hypothyroïdie latente.
Absence de tuméfaction des OHP (ni adénopathie ni hépato-splénomégalie).
3. Hémogramme
- Anémie: Hb basse, parfois 4 g/dL
Macrocytaire : VGM jusque 140 fL
Normochrome.
Non régénérative (N° réticulocytes 50 G/L)
- Leucocytes et plaquettes : Nb normal ou diminué (pancytopénie sévère possible)
[parfois neutropénie 0,5 G/L et thrombopénie 50 G/L, surtout si l’anémie est très sévère]
Remarque : le tableau complet est celui d’une pancytopénie macrocytaire non régénérative
- Frottis sanguin :
Attention : la macrocytose est absente en cas de carence martiale concomitante ou de thalassémie.
4. Myélogramme
- Moelle souvent très riche, paraissant « bleue » au faible grossissement, par excès d’érythroblastes immatures très basophiles.
- Mégacaryocytes : nombre diminué ; taille normale ou augmentée. +/- difficile à apprécier (MK fragiles, souvent éclatés lors de l’étalement).
- Nombreuses cellules en lyse.
- Erythroblastes : nombre = 10 à 70%, avec dysérythropoïèse touchant une partie ou la totalité des érythroblastes, que l’on appelle mégaloblastes (= caractérisés par une grande taille (jusqu’à 3 x la normale) et un asynchronisme de maturation nucléo-cytoplasmique).
La duplication très lente de l’ADN maintient la chromatine à l’état décondensé (= grands noyaux à chromatine fine) alors que la maturation cytoplasmique se poursuit à vitesse normale (= cytoplasmes géants).
D’autres signes de dysérythropoïèse sont observés : excès de mitoses (d’aspect anormal), corps de Howell Jolly isolés ou multiples, avec parfois caryorrhexis, nombreuses cellules en lyse sur les frottis.
Divers aspects des mégaloblastes et de la dysérythropoïèse dans la moelle osseuse
Remarques.
- Les mégaloblastes sont fragiles et meurent souvent par apoptose avant maturation complète
: c’est une hémolyse intra médullaire , caractérisable par un ictère et des signes biologiques d’hémolyse (bili libre et LDH augmentées) alors que l’anémie n’est pas régénérative.
- Quand la carence n’est pas totalement installée deux populations d’érythroblastes (normaux et mégaloblastiques) peuvent coexister
La coloration de Perls n’est pas utile en pratique. Elle montrerait un excès de sidéroblastes à plus de 3 grains et quelques sidéroblastes en couronne ( 5 %)
- Lignée granulocytaire: gigantisme (jusqu’à 2-3 x la taille normale) d’une partie ou de la totalité des cellules de la lignée.
Présence de métamyélocytes géants (jusque 35 µm de diamètre) avec noyau +/- plissé et formant un ruban (aspect « rubané ») et de polynucléaires matures géants avec noyau hyperlobé (jusque 15 lobes) sont caractéristiques des anémies mégaloblastiques (par carence en B12 ou en B9, indépendamment de l’étiologie).
Métamyélocytes géants et polynucléaires neutrophiles au noyau hypersegmenté
5. Biochimie
5.1. Dosage de la vitamine B12 plasmatique.
- Valeur normale : 200 - 800 ng/L (des valeurs 75 ng/L sont possibles).
- on dose en parallèle les folates sériques (valeur N ou augmentée) Si on dose les folates érythrocytaires = souvent bas.
Remarques.
- des valeurs normales basses n’excluent pas un début de carence.
- pas de proportionnalité étroite entre diminution de l’Hb et diminution de la B12 sérique.
- des valeurs un peu N sans signes cliniques ou biologiques (pas d’anémie) correspondent à un déficit infraclinique. Il existe des situations cliniques (neurologiques) où la carence est fruste (vit B12 = N).
5.2 Autres dosages en rapport avec le déficit en vitamine B12.
Réalisés dans des circonstances précises (déficits constitutionnels, résistance au traitement B12) :
- Dosage sérique de l’acide méthylmalonique (spectrométrie de masse) : très bon indicateur de carence B12. Il est augmenté dans la carence B12 (mais aussi parfois chez l’insuffisant rénal et après 65 ans).
- Dosage sérique de l’homocystéine : > 15 µmol/L. Signe précoce de carence, mais non spécifique car également augmenté dans la carence en B6, l’insuffisance rénale et l’hypothyroïdie.
Ferritinémie. Pour rechercher une éventuelle carence martiale associée
En développement : dosage de l’holotranscobalamine (= transcobalamine 2), qui reflète la quantité de B12 disponible pour les métabolismes.
5.3. Signes de l'hémolyse intramédullaire.
- Augmentation de la bilirubine libre sérique et du fer sérique, diminution de l'haptoglobine, augmentation massive des LDH (parfois > 30 x N)
- Bilan martial : fer sérique et ferritinémie = valeurs très variables (souvent augmentés du fait de l'hémolyse; voir le chapitre traitement)
[L’achlorhydrie gastrique diminue la dissociation du fer alimentaire et la transformation en fer ferreux, pouvant aboutir à la carence martiale, soit associée à la carence en B12, soit ultérieurement, lors de la phase de correction de l’anémie].
5.4. Biologie en cas de suspicion de maladie de Biermer.
Dosage de la gastrine sérique.
* Augmentée jusqu’à > 100 fois la normale. Bon témoin de l’achlorhydrie gastrique.
[bien différencier d’avec les traitements antisécrétoires, qui sont l’autre cause majeure d’augmentation de la gastrinémie]
Recherche de signes d’auto-immunité.
* Recherche d’Ac sériques anti – facteur intrinsèque: de type I ou bloquants, empêchant la formation du complexe B12-FI (spécifiques de la maladie de Biermer) ou de type II ou facilitants (empêchent la liaison au récepteur iléal). Retrouvés dans 50-70% des cas, ils sont donc peu sensibles mais très spécifiques de la maladie
* Recherche d’Ac anti cellules pariétales gastriques (dirigés contre une ATPase des cellules pariétales): grande sensibilité (90%) mais faible spécificité (retrouvés chez 15% des femmes de > 65 ans)
* la maladie de Biermer est souvent associée à un diabète de type I et/ou une affection thyroïdienne auto-immune (expliquant la positivité fréquente des Ac anti cellules thyroïdiennes)
Autres techniques.
Tubage gastrique (de moins en moins réalisé): il apprécierait le défaut de sécrétion gastrique [achlorhydrie avec pH élevé (5 - 7), alors qu’il est normalement de 1 à 2, et l’achlorhydrie est histamino- résistante. Dosage du facteur intrinsèque dans le liquide gastrique: déficit majeur]
Le test de Schilling (n’est plus réalisé). Il consistait, en parallèle de l’injection d’une dose de charge en vit B12 pour éviter une absorption non spécifique, à faire absorber de la vit B12 radiomarquée et de suivre la radioactivité urinaire, quasi absente dans la maladie de Biermer. Le test renouvelé en faisant absorber de la B12 couplée à du facteur intrinsèque normalisait l’épreuve (test en 1 étape = possible, avec de la B12 marquée avec 2 isotopes différents du cobalt).
Fibroscopie gastrique.
Montre des signes de gastrite atrophique fundique, avec infiltrat inflammatoire de cellules mononucléées, destruction glandulaire locale et métaplasie pylorique ou intestinale (atrophie sévère et définitive).
On recherche de polypes ou d’autres lésions (polypes et de tumeurs endocrines à cellules entérochromaffine-like (EC-Lomes).
On recherche de signes d’infection à Helicobacter pylori (on peut compléter par une recherche d’Ac sériques anti H pylori)
Par définition les 3 critères diagnostiquant la maladie de Biermer sont :
- carence en vitamine B12 (dosages)
- par maladie gastrique (achloryhdrie totale histamino-résistante au tubage)
- avec déficit de sécretion du facteur intrinsèque démontré par : - dosage direct par le tubage gastrique
- ou par le test de Schilling avec et sans facteur intrinsèque
- ou par présence d’Ac anti-facteur intrinsèque (sérum et/ou suc gastrique; spécifique mais absent dans au moins 30 % des cas)
6. Diagnostic positif et différentiel.
Le dosage de la vit B12 sérique suffit au diagnostic de carence.
Quand le VGM est >= 100 fL on retient le terme d’« anémies mégaloblastiques » quand il s’agit d’une carence en vit B12/B9, et d’« anémies macrocytaires » dans les autres situations.
L’aspect de la moelle osseuse (mégloblastose) ne permet pas de séparer carence en B12 et carence en folates (faire les dosages sériques des 2 vitamines), quelle qu’en soient les causes.
Dans les syndromes myélodysplasiques CRDM, AREB) et l’érythroleucémie : mégaloblastose moins franche, présence parfois d’érythroblastes multinucléés, parfois de blastes (myéloblastes, parfois avec 1 corps d’Auer), absence de métamyélocytes géants avec noyau rubané ou hyperpolysegmentés (plutôt = hyposegmentation nucléaire, hypogranulation cytoplasmique)
7. Traitement
Pour la M Biermer.
Hydroxocobalamine 1000 µg/j tous les 2j x 6 par voie intramusculaire pour reconstituer les réserves, puis 1000 µg/mois à vie.
Après la première injection de vit B12 : normalisation des LDH en 24-48 heures, hyperréticulocytose vers 5-8j (jusque 300 G/L), normalisation progressive de l’hémoglobine (augmentation de 1g/dL et par semaine) et du VGM en parallèle.
A deux mois : prescrire un hémogramme avec bilan martial (fer + ferritinémie) pour rechercher une éventuelle carence et le cas échéant la traiter (l’achlorhydrie gastrique inhibe la dissociation du fer alimentaire et donc favorise la carence martiale).
La récupération neurologique débute après une semaine, avec résolution complète en 1-3 mois. La perisistance ou l’aggravation des signes doivent faire envisager un autre diagnostic.
Pour les autres causes.
Agir en fonction de l’agent responsable (la carence avérée par le dosage sérique nécessite un traitement id. M Biermer).
Eradication de H pylori s’il est présent.
Remarques importantes.
- L’administration isolée de folates à un patient porteur d’une carence en vitamine B12 peut aggraver les troubles neurologiques et peut entrainer des dommages neurologiques irréversibles : on prescrit simultanément le dosage des deux vitamines.
- Un traitement par B12 orale est envisageable, mais la B12 est 100 fois moins bien assimilée per os que par voie intramusculaire dans la M de Biermer. A éviter dans les carences sévères, la M Biermer, les malbsorptions.
- Le risque de cancer gastrique est légèrement augmenté dans la M Biemer, surtout chez les pts ayant des signes de dysplasie au diagnostic (10% des cas). On constate surtout dans l’évolution du Biermer une augmentation du nombre des polypes et de tumeurs endocrines à cellules entérochromaffine-like (EC-Lomes). Ces tumeurs ont un effet métastasiant faible (doser par principe la chromogranine A) mais on conseille leur ablation (même si nombreuses) chez les pts jeunes (éviter la gastrectomie totale).En l’absence de dysplasie ou de lésion cancéreuse initiale:suivi endoscopique tous les 3 – 5 ans chez les sujets jeunes.
Conclusion.
Le diagnostic d’une anémie mégaloblastique par carence en B12 (ou en B9) est rapide (dosages sériques), et le myélogramme n’est pas de prescription constante.
Octobre 2015